mardi 14 octobre 2008

la crise financiere encore et toujours

Crise économique, crise d’un système

Fortes baisses et faibles hausses, on ne sait plus trop sur quel pied danser dans les salons des bourses du monde. D’une crise de crédits hypothécaires aux Etats-Unis, on en arrive à des discours socialisants contre-nature de la part des autorités financières et politiques. Des parachutes dorés à l’épargne des citoyens, la finance mondiale, qu’on nous a toujours décrite comme si complexe, a envahit notre quotidien de la plus déplaisante des manières.


On a frôlé la crise systémique nous dit-on, mais la situation est sous contrôle finalement. La « crise de 1929 » ne se répétera pas parce qu’on dispose de bien meilleurs outils qu’à l’époque. On a eu chaud mais ça va passer. Reste que quelques uns ont perdu des plumes, mais c’était nécessaire. Quand on s’appelle FED (banque centrale étasunienne) ou gouvernement étasunien, il faut tout de même être juste avec l’argent du contribuable, on ne peut pas sauver tout le monde et n’importe qui ! Alors on aide les plus gros, on lâche les plus petits, on s’engage pour des sommes colossales et on promet qu’on en tirera toutes les conséquences.

Bien sûr, on peut se réjouir que pour une fois, les gras riches actionnaires soient pris à leur propre piège. Ou bien se dire, comme nous l’ont bien certifié les autorités compétentes, que c’était un mal nécessaire et qu’une fois la crise passée, le marché sera consolidé (en ayant évacué ses poids morts) et que ce qui ne nous détruit pas nous rend finalement plus fort. Les optimistes peuvent même gober les belles déclarations de principes annonçant des réformes du système … enfin des réformes qui amèneront plus de transparence dans le système et une meilleure gestion du marché, bref un beau et grand « Plus jamais ça ! ». Mais franchement, on y regardant de plus près, le seul point positif de cette crise est d’avoir mis en évidence les dérives et les dangers d’un système capitalistes dont les garde-fous ont sciemment été enlevés. Car pour le reste, il y a peu de chances que le capitalisme scie la branche sur laquelle il se croit bien installé.

Une crise, des crises, leurs origines.
Si on se penche sur l’histoire récente, on se rend vite compte que les vingt-cinq dernières années nous ont offert une séries de crises économiques [1] qu’on a tôt fait d’oublier au plus vite dès qu’une nouvelle « bulle » se présentait. Bien sur, celle que nous connaissons actuellement dépasse, et de loin, celles que nous avons connues avant mais n’y a-t-il pas de liens ? Les paniques précédentes n’étaient-elles pas des signaux qui ont été proprement ignorés par les principaux acteurs du monde financiers ? Pourquoi ? Comment ?

C’est à la fin des années 70 et au cours des années 80 que ce que les économistes appellent la « déréglementation financière » s’est répandue à travers la planète. Du Japon aux pays anglo-saxons, l’idée de ne plus entraver les mouvements financiers internationaux a finalement gagné l’Europe continentale. Le libéralisme allait enfin pouvoir s’en donner à cœur joie et travailler à son profit en toute quiétude. Concrètement, on entend par « déréglementation financière » l’introduction de la concurrence dans le milieu des agents de changes mais surtout l’abolition complète des entraves aux mouvements des capitaux. A partir de là, les capitaux financiers vont pouvoir se déverser sur le monde, s’installer et repartir où et quand bon leur semble. A cela s’ajoute la concentration de l’épargne du salariat sous une forme financiarisée (les fonds de pension) qui va, de par son ampleur, dynamiser les marchés à la hausse comme à la baisse.

Sans que la plupart des gens ne le remarque, l’équilibre entre travail et capital vient de changer car la « déréglementation financière » a ouvert la porte à une troisième puissance, celle de l’actionnariat. Ce « nouveau venu » va pouvoir imposer ses vues aux deux autres forces en présence car il est sans entraves. Il n’est plus possible de résister à ces exigences qui ne font qu’augmenter. Toute puissance ne s’arrêtant que lorsqu’elle rencontre une puissance capable de la contrecarrer. Les chantres du libéralisme ont beau vanter les mérites d’autorégulation de la finance, les crises qui ont émaillé le 20ème siècle prouvent que l’ultralibéralisme est fragile, instable mais certainement pas responsable. Et jamais la moindre leçon n’a été tirée de ces scénarios peu glorieux.

Evidement, pour que tout ce système se mette en place, il a fallu des volontés politiques car c’est bien les gouvernements qui ont voté les lois offrant le monde à partager et même parfois des gouvernements « de gauche », comme en France. Mais cela a aussi été imposé, comme aux pays du Tiers-Monde ou aux « pays émergents » via la menace de la dette. Il a fallu également des instruments efficaces pour donner l’occasion aux « traders » de démontrer toute l’étendue de leur talent. Ici, comme Denis Robert l’a montré, c’est grâce aux « chambres de compensation » [2] que le monde de la finance a pu accélérer son travail, en toute discrétion. Le rendant par-là même beaucoup plus efficace car il devient possible de changer plusieurs fois dans la même journée, la destination d’un investissement, mais aussi plus discret, voir opaque. L’outil parfait pour tout spéculateur !

Car c’est bien ce qu’est devenu la finance au cours des 25 dernières années. Une grande spéculation. Toute la finance s’est en effet tournée vers les juteux profits annoncés par la spéculation, y compris les institutions dont le rôle était plutôt de garantir les investissements, comme les banques de dépôts ou les fonds « monolines ». Et il faut bien dire que c’aurait été une faute pour ces entreprises, dans l’optique libérale, de ne pas tenter eux aussi de venir se goinfrer sur des marchés aussi tentant que ceux qui se sont ouverts.

En effet, si la libéralisation a touché tous les secteurs, partout elle impose ses lois, y compris à la finance. Or en chaque financier se cache un prédateur plus ou moins féroce, mais un prédateur. La spéculation s’est donc mise à l’ordre du jour dans chaque recoins des institutions financières car c’est là que les fruits doivent être les plus juteux. Et c’est là que se pose la question des risques ! Jusqu’à quel point un « trader » peut-il risquer son capital ? De quelle marge de manœuvre une entreprise financière, quelle qu’elle soit, bénéficie-t-elle quand il s’agit de faire fructifier son capital ? Quelles démarches faut-il entreprendre pour apaiser la soif intarissable d’un actionnariat ?

La crise des « subprimes » et ses suites, un développement logique !
Il semblerait que dans les milieux financiers, la crise qui frappe le monde de la Bourse n’est pas une grande surprise. Bien des gens l’ont annoncée mais elle est quand même survenue. Faut-il y voir une fatalité ? De la bêtise ou du laxisme ? Des intérêts ?

A l’origine de la crise des « subprimes », on trouve un système offrant aux ménages étasuniens des prêts hypothécaires à taux très bas durant les deux premières années et variables pour le reste de la durée de l’emprunt. Après ces deux années, les taux augmentent et mettent bien entendu en péril des familles déjà précarisées à la base [3]. Les dérivées [4] de ces produits financiers étaient censés rapporter gros aux actionnaires et autres fonds d’investissements car ces prêts avaient massivement attiré les clients et fait grimper les prix de l’immobilier. Le problème, bien sûr, c’est que la finance aime l’instantanéité, mais que des « arriérés » de prêts hypothécaires ne se liquident pas du jour au lendemain. Et c’est là que la spirale s’est enclenchée. Les sociétés engluées dans ces investissements ont dû se tourner vers les banques pour trouver des liquidités, alors même que la réputation de plus en plus mauvaises des « subprimes » faisait qu’il n’était plus possible de s’en débarrasser. Le doute s’installe donc et c’est le début de la crise. Les « traders » sont pris au piège, ils ne peuvent plus jongler avec les chiffres, trafiquer leurs comptes en attendant de se refaire. Et vu que la Bourse est un milieu où l’information et la confiance mutuelle sont primordiales, les actionnaires commencent à demander des comptes. Plus question de baratiner ! Seule solution, trouver de l’argent frais pour rassurer tout le monde.

Et là, la crise menace vraiment car les banques, qui elles aussi ont joué le petit jeu de la spéculation outrancière, n’ont plus l’intention de financer qui que ce soit, sinon elles-mêmes. C’est alors, que réapparaissent les « fonds souverains » (F.S.). Créés dans les années 1950, les premiers fonds de ce type visaient à placer les excédants de la balance commerciale des pays à forte croissance, au rang desquels on trouve certains pays producteurs de pétrole et plus tard les pays émergents tels que la Chine, Singapour ou la Russie. Avant la crise, accepter ces fonds étatiques dans son capital était perçu comme un signe de faiblesse pour une société financière. Mais une fois la crise enclenchée, les grandes institutions financières de Wall Street ont avidement pris le rare argent encore disponible sur le marché. Faisant fi de la morale libérale, les spéculateurs font preuve de pragmatisme. Au mois de mars 2008, les F.S. ont investi massivement dans les sociétés financières U.S., pensant que les cours des actions ne baisseraient plus. Ils ont vite déchanté en constatant que les baisses enregistrées n’étaient que le début officiel de la crise. Mais lorsque ça a atteint les sommets récents, il semble que les plus gros « clients » comme la Chine, jugeant les pertes trop lourdes, aient mis sous pression l’administration Bush en brandissant le spectre d’un retrait massif qu’on n’hésite pas à qualifier « d’arme de destruction massive » dans les milieux financiers. A terme, il est plus que probable que Wall Street ne soit plus qu’une place de seconde plan, derrière les bourses asiatiques. A ce sujet, les récentes déclarations du président russe Dimitri Medvedev sont assez éclairantes quand il dit que le modèle étasunien a vécu. Car, bien sûr, ces investissements représentent une forme de nationalisation… par une puissance étrangère. [5]

Mais dans le monde de la finance, la crise nourrit la crise. Et l’injection d’argent n’a pas suffit à rendre confiance aux marchés. La descente aux enfers a commencé pour une série de dinosaures de Wall Street mais aussi de la City. Dès lors, c’est le gouvernement étasunien et la FED qui ont dû intervenir. Mais si aider une banque et garantir le rachat d’une autre par ses consoeurs est une chose, sauver l’entièreté des banques spéculatives en est une autre. Dès lors, l’administration Bush a accepté de nationaliser pour 200 milliards de dollars les deux plus gros organismes de refinancement hypothécaires Freddie Mac et Fannie Mae mais a regardé Lehman Brothers s’écraser sur le macadam car, contrairement aux deux autres, la faillite d’une entreprise de cette ampleur financière – plus modeste – ne représentait pas de « risque systémique ». Avec comme résultats, un marché consolidé et un message clair envoyé à la finance : tout le monde ne sera pas sauvé à n’importe quel prix !

Beaucoup d’argent, des mesures drastiques de nationalisation (contre-nature au pays de l’Oncle Sam), des changements de conseil d’administration, mais quels résultats ? La Bourse est toujours morose, elle attend, elle en veut toujours plus car elle sait que cela ne suffira pas. Alors, le gouvernement Bush annonce 700 milliards sur deux ans ! 700 milliards pour refinancer Wall Street ! 700 milliards de dollars du contribuable étasunien pour renflouer des entreprises qui se sont empiffré sur le dos de ce même contribuable via des prêts hypothécaires scabreux et/ou qui ont joué et perdu son épargne. Bref, l’administration Bush pousse son gouvernement à voter un budget colossal pour sauver des banqueroutiers potentiels parce que ne pas le faire coûterait bien plus cher. L’Etat va donc encore une fois nationaliser les pertes après que les bénéfices ont été privatisés pendant des années. Et même s’il se pourrait qu’au final le gouvernement étasunien fasse quelques bénéfices avec ses fonds douteux rachetés à bas prix, il est sûr que les banques sauvées par l’argent du contribuable retomberont dans de plantureux bénéfices avec les investissements sains qu’on leurs a laissés. Et là tout le monde applaudit… chez les financiers en tous cas. Il est certain que le Congrès US s’est fait un peu tirer l’oreille mais les marchés sont soulagés et c’est ce qui compte ! Bien qu’en attente de ce bel et bon argent, les investisseurs s’apaisent. Certes ils ont perdu des plumes et parfois même pour certains tout leur ramage, mais dans cet impitoyable petit monde, seuls les plus forts sont destinés à survivre, c’est bien connu.

S’il est beaucoup questions des Etats-Unis, c’est parce que la majorité du capital financier se situe à Wall Street, même si, bien sûr, les sièges se situent dans les paradis fiscaux ! Par contre, il ne faut surtout pas perdre de vue que la finance mondiale est complètement interconnectée et que les effets boule-de-neige y sont omniprésents. La volatilité des marchés a conduit à ce que les investisseurs du monde entier, même s’ils ont eu parfois beaucoup de mal à le reconnaître, ont voulu leur part de « subprimes » et ont perdu. En Europe, la BCE (Banque Centrale Européenne) a annoncé une capacité d’injection de 330 milliards d’euros dans le circuit bancaire de la zone Euro. Ces liquidités sont prêtées aux banques à des taux forts bas pour résoudre le manque de crédits sur les marchés.

En résumé, nous sommes donc face à une crise provoquée par la trop grande déréglementation des marchés, réclamée par la haute finance et accordée par le politique. Car une fois que les investisseurs ont eu les mains libres pour agir, ils ont fait exactement ce qu’ils étaient supposés faire en tant que boursier, faire de l’argent, encore plus d’argent, toujours plus d’argent. Et ce par n’importe quel moyen vu qu’il n’y avait plus rien ni personne pour leur dire où et quand s’arrêter. Un enfant n’aurait pas agi différemment face à un pot de confiture ! Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de quelques grammes de fruits sucrés !

Qui plus est, il y a fort à parier que malgré tous les efforts des gouvernements, la suite ne soit pas rose. Après les « subprimes », ça va être au tour des « Alt-A mortages ». Ces crédits, accordés après très peu de vérifications sur la solvabilité des clients, ont pour caractéristiques d’offrir plusieurs modalités en matières de démarrage de remboursement. Cela va même jusqu’à ne pas rembourser l’intégralité des intérêts durant les premières années. Evidement, le report pour les années suivantes ainsi que le réajustement du taux n’en est que plus important (en moyenne jusqu’à 63%). Emis depuis 2006, ces crédits vont voir les retards de payement s’accélérer à partir de l’année prochaine et ce jusqu’en 2001. Si on parle d’investissements atteignant les 855 milliards de dollars pour les « subprimes », il faut savoir que les crédits « Alt-a » totaliseraient 1000 milliards dollars.

Sortir de la crise, mais par quel chemin et pour qui ?
Du côté politique, on se rend bien compte que la peur de la récession ne peut suffire à faire avaler une pilule de plusieurs milliards de dollars destinée à sauver des flambeurs invétérés. Alors, nous assistons à une série de déclarations concernant la transparence et la régulation de cette haute finance. Même parmi les boursiers, on annonce une meilleure gestion, une volonté de bien faire, de mieux faire ! Deux des plus grandes banques d’affaires de Wall Street se sont recyclées en classiques banques commerciales. Les banques d’affaires ayant survécu vont réduire leurs parts de fonds à risques, le profil des « traders » va changer, laissant sans doute place à des « cerveaux » issus d’universités prestigieuses. La part du capitalisme dans le PIB étasunien va aussi certainement diminuer. Mais ensuite ? Est-ce que la sortie de la crise va diminuer la pression sur les salariés ? Le capitalisme va-t-il prendre un visage humain ?

Aujourd’hui, les fonds d’investissements achètent dans les secteurs porteurs. La puissance actionnariale étant totale, elle impose au dirigeant de l’entreprise, un pourcentage de bénéfice chaque année supérieur à celui de l’année précédente. Les patrons ont essentiellement trois solutions pour s’exécuter : la réduction des coûts de production, la réduction de la masse salariale et la rétribution des actionnaires par les bénéfices. Ces trois actions sont directement destructrices pour l’entreprise qui va diminuer ses coûts, ses salariés et ses investissements (modernisation, recherche de nouveaux marchés etc …) jusqu’à néant, c’est-à-dire la délocalisation ou la fermeture pure et simple. Les investisseurs ont obtenu sur une courte durée tout ce qu’ils ont désiré, de la prime d’état pour la création d’emplois à l’accaparation totale des finances de l’entreprise. Les multinationales ne cachent même plus qu’elles ferment une usine non pas parce qu’elle ne rapporte pas, mais simplement parce qu’elle ne rapporte pas assez ! C’est pourtant bien le travail, et non pas la spéculation, qui est le premier créateur de richesses.

Mais derrière la crise, il y a tout de même un système très bien pensé. La libre concurrence a imposé une logique prix-salaires qui entraine le salarié dans sa spirale : la course aux prix réduits ayant comme seule logique une diminution du coût salarial. Ces mêmes employés au salaire réduit ou pire, au chômage, doivent se tourner vers le « hard discount » et dès lors, forcent encore plus la course aux prix cassés avec les mêmes effets pervers. Mais rassurez-vous braves citoyens, le libéralisme ne va pas laisser tomber d’aussi bons et dociles clients ! Il a une solution pour vous qui n’arrivez plus à boucler vos fins de mois ! Tout le monde ayant le droit de consommer (ce n’est pas encore une obligation) l’endettement vous tend les bras ! Et bien que ces pratiques soient beaucoup plus courantes dans les pays anglo-saxons, les études récentes montrent d’ailleurs un recours de plus en plus fréquent à la carte de crédit pour l’achat de biens de première nécessité. Or en ces temps de crises, il y a fort à parier que cette belle soupape sociale, qui touche de plus en plus de monde, va inéluctablement être fermée par les banques en manque de liquidité.

Mais ce n’est pas tout. Si le travail est la première source de création de richesses, le spéculateur doit pouvoir mettre la main sur ce capital pour le faire fructifier et justifier sa position. L’épargne de ceux qui peuvent encore se le permettre ne suffisant pas à l’appétit insatiable de la haute finance, on a réinventé la privatisation des systèmes de soins de santé ou de retraites. Bien sûr, là encore les économies anglo-saxonnes ont de l’avance sur le Vieux Continent mais de plus en plus, l’Union Européenne et les financiers dirigent les citoyens vers des épargnes-pensions et autres assurances-maladies complémentaires. Et c’est bien évidement avec ces fonds, rappelons-le, du salariat, que les grandes institutions jouent … et perdent. Comme le dit l’économiste Frédéric Lordon [6] : « Pris dans l’étau de la concurrence, qui ne fait diminuer les prix qu’à condition de réduire leurs salaires, dans la servitude de l’endettement, devenu aussi indispensable que le revenu pour vivre, les salariés ont, pour couronner le tout, la chance d’être tyrannisés à leurs frais, puisque l’épargne qu’instrumentalise la finance actionnariale, celle qui réclame du rendement à n’en plus finir, c’est bien la leur ! Et la perversité confine à l’esthétique quand, d’une part, tous les accidents de la finance sont voués à leur retomber dessus, car ce sont eux qui paieront les pertes de croissance, et que, suprême finale, il devient interdit de toucher quoi que ce soit aux structures financières au motif – bien fondé, c’est ça le pire ! – que ce serait attenter à leurs pensions. Dans ce piège parfait, s’en prendre à la rentabilité financière, n’est-ce pas s’attaquer à la retraite des vieux ? ». On croit rêver !

Solutions d’Etat, remise en question ou emplâtre sur jambe de bois ?
Face à la crise, les réactions émotives dominent dans les discours de nos dirigeants. Que ce soit Outre-Atlantique ou sur le Vieux Continent, les politiciens se veulent rassurant tout en brandissant le risque du désastre économique s’ils ne peuvent agir rapidement. Certes, la situation est suffisamment grave pour nécessiter des mesures exceptionnelles mais qu’en est-il de la méthode ? Les élus étasuniens ont eut du mal à digérer le coup de force que veut leurs imposer l’administration Bush, surtout en pleine période électorale. A contrario, le gouvernement belge y voit sans doute une belle opportunité de mettre au placard les brûlantes questions communautaires. La Commission européenne, quant à elle, elle a déjà montré dans le passé qu’elle est avant tout engoncée dans son idéologie libérale et empêtrée dans ses trop lourds processus décisionnels [7]. Outre les mesures directes de refinancement et de plus de liquidités disponibles, les autorités veulent plus de contrôles et de transparence sur les marchés. On peut donc espérer que les bilans comptables seront moins facilement falsifiables pour les équilibristes de la haute finance.

Parmi les bouc-émissaires, le principal incriminé semble être le fameux parachute doré des patrons. Et sans doute avec raison car il est assez difficilement acceptable de voir un patron licencié, pour mauvaise gestion, encaisser des sommes colossales (un peu moins de 4 millions d’euros – prévus puis abandonnés – pour l’ancien responsable de Dexia). Mais n’est-ce pas encore un bon moyen de ne pas s’attaquer aux problèmes de fonds ? En effet, que représentent vraiment quelques millions d’euros face à une crise majeure ? Un moyen bien simple de donner un os à ronger aux petits épargnants.

Pendant ce temps, rien de ce qui est annoncé n’indique qu’à un quelconque moment l’actionnariat va devoir amoindrir ces exigences de rentabilité. S’il est bien question d’une meilleure gestion, il s’agit uniquement de montages financiers plus solides, moins farfelus, plus adultes mais jamais au grand jamais, plus sociaux, plus équitables ou plus humains ! Il n’est nullement question ici de remettre en cause les fondements de la libre entreprise, juste de lui faire gagner un peu en maturité afin que tous ses acteurs puissent prospérer en toute sécurité. Remarquons au passage que ce n’est pas la première fois que des actes sont posés en ce sens [8]. Politiques, financiers ainsi que l’OCDE, le FMI et la Banque Mondiale en appellent maintenant à la transparence et à la responsabilité. Mais qu’en était-il avant ? Y a-t-il jamais eu une entreprise se réclamant ouvertement de l’opacité et de la folie douce ? Contrairement à ce que les autorités politiques et financières veulent implicitement nous faire croire, cette crise n’est pas due à quelques irresponsables. C’est bien tout le système néo-libéral qui est en cause. Et tant que des outils comme les chambres de compensation seront à l’abri d’un véritable contrôle, il n’y a aucune chance pour qu’une quelconque transparence existe dans le monde de la finance. Quant à la « responsabilité » demandée par les investisseurs, on peut difficilement la concevoir autrement que dans une continuité améliorée et plus sûre du système. La suite, c’est une concentration de la haute finance dans quelques mains, comme celles de la banque JP Morgan Chase, qui a su profiter de la crise pour s’emparer à bas prix de deux beaux portefeuilles de Wall Street. Et quand la concurrence se réduit comme une peau de chagrin, c’est comme toujours le consommateur qui trinque. Mais si on veut vraiment parler des dangereux décérébrés, il faut noter qu’une certaine spéculation « à la baisse » continue sur les marchés.

Les solutions que nous proposent les politiques sont comme toujours en fonction de leurs propres intérêts. Pas question de repenser une société dont ils sont les « élites ». Et pourtant, dans l’état actuel des choses, des solutions simples et efficaces pourraient facilement être mises en place grâce à une réelle volonté de nos dirigeants. La taxe Tobin, trop vite jetée aux oubliettes, devrait plus que jamais revenir à l’esprit de nos édiles. Le SLAM [9], proposé par Fr. Lordon, visant à taxer tout revenu d’origine spéculative, dès qu’il dépasse un certain pourcentage. Des pays comme le Brésil, le Chili, Taiwan ou la Malaisie ont mis en œuvre un contrôle plus sévère des mouvements de capitaux et des investissements par diverses mesures (taxation de capitaux sortant, caution bancaire d’une certaine durée pour les capitaux entrant, etc …). En 1996, Denis Robert et plusieurs grands magistrats anti-corruption ont lancé l’Appel de Genève, plaidant pour un espace judiciaire européen dans le but de lutter contre les malversations financières, est resté lettre morte. Toutes ses mesures représenteraient certainement un bon pas en avant à l’heure actuelle si nos gouvernements le décidaient.

Face à ces propositions, les libéraux brandissent le spectre de la fuite des capitaux ! Et pourtant, il faut savoir qu’aujourd’hui l’apport des investisseurs sur le marché étasunien est négatif tellement leurs exigences sont importantes ! Et si les marchés européens n’en sont pas encore là, pourquoi n’y arriveraient-ils pas puisqu’ils suivent, toujours avec un peu de retard, l’exemple du grand-frère US. La nécessité de tels investisseurs devient donc toute relative. Qui plus est, si l’on se penche sur les vingt années précédent la déréglementation, on constate que la croissance, si chère à nos dirigeants actuellement, était meilleure, avec tout ce que cela entraîne comme conséquences socio-économiques (moins de chômage, etc …). Evidement, les pauvres actionnaires devaient se contenter (et se contentaient d’ailleurs) d’environ 3% de bénéfices, alors qu’aujourd’hui ils en exigent 15%.

Mais ne nous leurrons pas, ce n’est pas auprès des belles et grandes institutions que sont le FMI, l’OCDE ou la CEE que se trouve l’espoir d’une véritable amélioration du système, bien qu’elles en aient les moyens. Partout, on entend des voies s’élevant contre les pourris qu’il va falloir refinancer avec le bon argent du contribuable. Les indignations pleuvent et si on était dans une petite ville du Far West au milieu du 19ème siècle, il y a fort à parier que le goudron et les plumes seraient servis en plat de résistance à ces « voleurs de bétails ». Et pourtant …

Et pourtant n’est-il pas trop facile de se laver les mains purement et simplement face aux agissements des grands prédateurs de la haute-finance en les désignant comme uniques responsables. N’est-ce pas là le discours simpliste de nos politiques dénoncé plus haut ? Chaque citoyen dispose de bien plus de choix qu’il ne veut bien le croire. Mais il faut accepter de renoncer à au moins une partie de son confort quotidien vanté par la société consumériste dans laquelle, peu ou prou, nous nous complaisons. Il est grand temps d’opposer la qualité à la quantité ! Cette qualité de vie est à la porté de chacun, en tous cas de qui la veut. Et il n’est pas question ici d’argent, de pouvoir d’achat. C’est même de l’opposé dont il s’agit, ou presque. Continuer à jouer le jeu des grandes banques, c’est se jeter dans la gueule du loup. A chacun d’entre nous de nous éloigner le plus possible de ce modèle qui n’a pour but que d’asseoir la domination et l’exploitation de la majorité par une minorité. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de la rejeter en masse pour le couper de son ascendant sur la population.

Tout autour de nous existent des solutions pour reprendre nos vies en main. Et puisque nous vivons toujours dans un monde d’argent (hélas), continuons à parler de banques. Il existe depuis plus de 30 ans des banques dites « éthiques ». Elles sont souvent le fruit de prises de conscience du manque complet de morale des banques classiques dans le placement de l’argent que leur confiaient les citoyens. Citons Triodos (aux Pays-Bas et en Belgique), la NEF (Nouvelle Economie Fraternelle, en France), Okobank (en Allemagne) ou BAS (Banque Alternative Suisse, en Suisse). Leur mode de fonctionnement est souvent participatif et les intérêts passent après la morale pour ce qui a trait aux types d’investissements réalisés (écolo, anti-armement, etc …). A cela s’ajoute, en Belgique, plusieurs associations d’épargne de proximité. L’aube (Liège), la Bouée (Francorchamps), les Ecus baladeurs (Ottignies), la Fourmi solidaire (Tournai) et le Pivot (Dison) assurent une gestion commune, autonome et démocratique de l’épargne, en y incluant une dimension locale. Cette forme d’épargne permet, par l’intermédiaire de prêts sans intérêt ou avec intérêt limité, de donner un coup de pouce à des projets sociaux ou alternatifs qui ont difficilement – voire pas du tout – accès au crédit bancaire traditionnel.

D’une manière plus générale, c’est donc à chacun de repenser sa manière de consommer, de se tourner vers le commerce équitable, les alternatives citoyennes comme les Groupements Collectifs d’Achats, privilégier les filières courtes mais aussi le co-voiturage ou les transports en commun ou bien choisir son fournisseur d’énergie. Bref tout ce qui nous éloigne d’un mode de consommation excessif qu’on a imposé à une majorité (je ne parle ici que de l’Occident, cela va de soi) pour le profit d’une minorité ! La seule vraie responsabilité ne peut naître que d’acteurs et non de consommateurs volontairement aveuglés et tenus à l’écart. Résister c’est créer, créer c’est résister.

[Prosper Metro], pour le journal libertaire « A Voix Autre »
http://www.avoixautre.be

Références :
Cet article se base principalement sur les écrits de Frédéric Lordon (que je remercie grandement d’avoir eu la gentillesse de répondre à mes questions) et Ibrahim Warde parus dans « Le Monde Diplomatique ». Ainsi que sur les travaux de Denis Robert pour lesquels il s’est vu harceler en justice. Et enfin sur le l’ouvrage collectif « Contre la dictature des marchés » édité par Attac.

mardi 7 octobre 2008

Quelques textes d'Attac France sur la crise financière

Jacques Cossart, Jean-Marie Harribey, Dominique Plihon
Point de vue publié dans Le Monde du 16 septembre 2008

Pierre Khalfa (membre du conseil scientifique d'Attac, porte-parole du l'union syndicale Solidaires)
Point de vue publié dans Le Monde du 2 octobre 2008

Naomi Klein

Chuck Collins, Dedrick Muhammad

Joseph Stiglitz

Joseph Stiglitz

Frédéric Lordon
Publication d'extraits du prochain livre de cet économiste, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de Sociologie européenne fondé par Pierre Bourdieu. Parution début novembre aux Editions Raisons d'agir: Jusqu'à quand? Pour en finir avec les crises financières.

Jacques Cossart, Jean-Marie Harribey, Dominique Plihon (membres du conseil scientifique d'Attac)
Tribune publiée dans Libération du 3 octobre 2008

Michael Moore